Inventer le transport décarboné, un challenge global

Le secteur du transport maritime a un besoin urgent d’innovation pour réduire son empreinte environnementale : une innovation de rupture, qui amène un nouveau paradigme. L’enjeu est d’inventer le transport décarboné afin de réduire les dommages causés à la mer, et parce que le monde est un système, à l’environnement en général.

Depuis plusieurs décennies, le choix de nombreux industriels et dirigeants s’est porté, pour des motifs variés, sur une délocalisation des centres de production appuyée par une logistique globale. Cette logistique repose essentiellement sur l’emploi du transport maritime, un secteur extrêmement bien optimisé en termes de coûts : envoyer un container de New York au Havre ou de Shanghai à Marseille coûte aujourd’hui environ 1000 dollars.

Un gros pollueur

Malgré des efforts importants, ce mode de transport, par lequel 90% des biens sont déplacés sur la planète, reste cependant un gros pollueur : il est à l’origine de 3% des émissions de gaz à effet de serre et de 10 à 20% des émissions de particules fines et autres substances polluantes. Un bilan qui a conduit l’Organisation Maritime Internationale (OMI) en avril 2018 à fixer un objectif ambitieux : la réduction de 50% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Comme on pourra le voir, les solutions envisagées jusqu’à présent pour répondre à des exigences de ce type ont eu une efficacité très relative.

Des mesures peu efficaces

Du côté politique, la commission d’Helsinki, qui avait déjà formulé en 2007 un Plan d’action pour la mer Baltique (BSAP) dont l’objectif était de rétablir le « bon état écologique » de la mer Baltique d’ici 2021, est un exemple parlant. Politique régionale commune (cette mer fragile est bordée par neuf pays) comprenant des actions au niveau régional ou national, elle est cependant restée limitée par son caractère non contraignant, et les concentrations en oxygène dans cet écosystème continuent de diminuer à la veille de l’échéance fixée.

Du côté technique, certaines méthodes consistant à changer de carburant à l’approche des zones portuaires afin de rejeter des gaz moins polluants induisent des surcoûts d’exploitation considérables (et il est important de noter ici que près de 70% des coûts variables d’exploitation d’un bateau sont liés au carburant). Le scrubbing des cheminées, destiné à purger les fumées, est une autre idée, qu’on pourra aisément qualifier « d’emplâtre sur une jambe de bois » au vu de sa faible efficacité, et qui est loin de permettre d’atteindre l’objectif visé dans les délais. 

Etant donné que la durée de vie moyenne des bateaux est de 30 à 40 ans, ceux qui seront mis à l’eau dans les prochaines années pollueront encore beaucoup à l’échéance, à moins d’un changement drastique. En termes de solutions, l’alternative qui émerge à l’heure actuelle est donc soit de transporter moins, soit de transporter mieux.

Transporter moins, une utopie ?

La première option est liée à des questions comme celles de la relocalisation, de la démondialisation, et de la souveraineté industrielle. Ces sujets occupent le devant de la scène depuis le début de la crise sanitaire du COVID-19. Mais les actions concrètes allant dans ce sens sont la prérogative des instances politiques capables (ou non) de prendre les meilleures décisions. Et c’est omettre un élément important que de remettre à ces décisions éventuelles la responsabilité de prendre en charge la menace, bien réelle, d’une crise environnementale sans pareil : car nous parlons d’un effort de très longue haleine, et absolument global. Aucune directive politique, aucune barrière douanière, aucune sanction financière n’offre un levier qui permet de réduire de 50% le volume de marchandises transportées. 

Transporter mieux, plus proprement

En revanche, pour ce qui est de transporter mieux — c’est-à-dire plus proprement — les laboratoires d'innovation ont un rôle clé à jouer. Car apporter des solutions concrètes pour favoriser la durabilité des modes de transport maritime nécessite de passer par une innovation de rupture, et la construction de nouveaux paradigmes énergétiques et hydrodynamiques. En ingénierie, c'est la fonction qui pousse à créer la machine. Nous devons aller aux extrêmes de ce que nous savons faire, et de ce que nous pouvons faire, pour développer ce que nous n’avons encore jamais fait : un transport décarboné.

Certaines mesures et certaines pistes de réflexion présentent un intérêt notable. Des navires utilisant de nouveaux carburants (GNL, ammoniaque…) – certes carbonés mais nettement moins polluants que le fuel – commencent à sillonner les océans. Plusieurs acteurs se sont lancés dans la propulsion à hydrogène, tandis que des projets de cargos à voile fleurissent dans les chantiers navals. D'importants efforts de modélisation des navires et de leur comportement en fonction de l’état de la mer, des vents et des courants, sont développés pour optimiser leur exploitation à travers une adaptation dynamique aux conditions de navigation. 

L’impératif économique

Qu’elles soient vraiment prometteuses, ou seulement des sources d’inspiration, toutes sont soumises à l’impératif économique. Pour être exploitable commercialement, un mode de transport doit respecter des contraintes de vitesse et de précision. Une flotte de navires à voile bloqués au milieu de l’Atlantique par manque de vent risque fort de semer le chaos dans plusieurs ports et de mettre à genoux la chaîne logistique, en aval comme en amont. A moins que la totalité de cette chaîne ne soit rendue auto-adaptable, et que la prédiction du temps de traversée ne devienne fiable…

Dans des domaines aussi complexes, qui impliquent de si nombreuses variables, les laboratoires de recherche détiennent la capacité de générer et de tester des solutions concrètes, réalistes et efficaces. Pour leurs partenaires, ils offrent la possibilité de faire des essais sans rompre la continuité des opérations, en contenant les coûts de recherche et sans prendre le risque de s’engager dans une voie sans débouchés.

Certaines solutions auront un impact sur la rentabilité ; d’autres nécessiteront des investissements importants pour être mises en place. Toutes exigent une liberté de pensée et d’action immenses pour pouvoir imaginer des technologies dont même les prémices sont aujourd’hui encore indiscernables. 

Le transport décarboné est l’avenir du transport maritime. C’est un challenge global, qui nécessite une collaboration dépassant les intérêts nationaux et les objectifs commerciaux, et qui doit cependant les prendre en compte. L’enjeu humain est, quant à lui, rapidement en train de devenir tangible, mais l’objectif est clair. A nous de jouer.

Yves de Montcheuil, co-fondateur de Syroco

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