Le b.a.-ba de la Cavitation

Lors de la présentation du concept du speedcraft Syroco, il est souvent fait mention de cavitation, de supercavitation, de régimes cavitants... La plupart des personnes impliquées dans l'architecture navale (et d'autres domaines de l'ingénierie) comprennent ces concepts, du moins dans une certaine mesure. Pour le bénéfice de tous, nous avons demandé à Catherine Ramirez Villalba et Michele Farnesi d'expliquer le plus simplement possible ce que c'est et pourquoi c'est important pour le speedcraft Syroco. 

Toutes nos excuses aux experts, vous n’apprendrez sans doute pas grand-chose ici - espérons simplement que nous n’avons pas trop simplifié les explications. 

Pour commencer, qu'est-ce que la cavitation et quelles en sont les causes ? 

Catherine : La transformation d'un liquide en vapeur (appelée vaporisation) est causée par une combinaison de l’augmentation de la température et de la baisse de la pression. Le plus souvent, cela se produit lorsque la température augmente (ébullition) mais ce phénomène peut aussi être causé par une baisse de pression. La cavitation est définie comme l'apparition de vapeur dans un fluide en raison d'une diminution de la pression à température constante. Cela signifie que pour des conditions données, des bulles de vapeur apparaissent lorsque la pression locale passe en dessous de la pression de vapeur saturante.

Diagramme des 3 phases

Dans le cas du foil que nous concevons pour le speedcraft Syroco, ce sont la géométrie, la vitesse et l'angle d'incidence de ce foil dans l'eau qui provoquent une variation extrême du champ de pression qui entoure le foil. Comme avec tout foil, il y a une face qui fonctionne à haute pression (intrados), et la face opposée est soumise à une pression plus faible (extrados). Plus la vitesse et/ou l'angle d'incidence sont élevés, plus la pression sur l'extrados diminue. Lorsque cette pression devient suffisamment faible, la cavitation (formation de vapeur) se produit. 

Nomenclature foil

Quand la cavitation peut-elle devenir un challenge ? 

Catherine : En fonction du champ de pression autour de la surface du foil, la cavitation peut se produire dans un état stable ou instable. Un état instable est caractérisé par des changements de pression dans les régions proches de la surface du foil. En raison de cette pression non uniforme, les bulles de vapeur qui se forment à l'avant du foil se déplacent en aval vers des régions de pression plus élevée où elles éclatent et se détachent. Cela crée des chocs et des vibrations - des phénomènes que nous préférerions éviter.

En revanche, dans un régime de cavitation stable, le champ de pression est homogène dans les régions proches de la surface du foil. Cela permet la formation d'une poche de vapeur stable tout au long de cette surface, avec une fermeture (limite entre la vapeur et le liquide) prenant place au moins 1 à 2 cordes derrière le foil. Ce phénomène s’appelle la supercavitation. Lorsque la supercavitation se produit, les lignes de courant du fluide circulent autour de la poche de vapeur comme si elle formait un solide, générant une portance hydrodynamique.

Poche de vapeur

Les conditions de fonctionnement de notre speedcraft nécessitent non seulement une vitesse élevée (80 nœuds) mais aussi la génération d'une portance suffisante par le foil. Et tout cela doit se produire à une profondeur de seulement 1 mètre. Nous avons les conditions combinées qui rendent les basses pressions impossibles à éviter... donc nous n'essaierons même pas d'éviter la cavitation. Au lieu de cela, nous travaillons pour la rendre stable. Nous devons parvenir à un régime de supercavitation.  

Cubit Innovation Labs est un partenaire clé de Syroco, quel type d'expertise apportez-vous ? 

Michele : Cubit Innovation Labs a beaucoup d'expérience en cavitation. Le professeur Giovanni Lombardi, qui a fondé la division Fluid Dynamics de Cubit, est un expert mondialement reconnu de la conception de yachts et de l'hydrodynamique et travaille sur le sujet depuis son mémoire de maîtrise sur les voiliers de course. Ma propre expertise réside dans la conception et la simulation aérodynamique (avec mes collègues nous avons travaillé par exemple sur des projets passionnants autour de voitures italiennes très rapides…) mais pas forcément dans la cavitation. Nous avons cependant beaucoup d'experts sur lesquels nous pouvons compter, et j'ai appris très vite (je n'avais pas vraiment le choix !) 

Comment Syroco s'associe-t-il à l'expertise de simulation numérique de Cubit pour optimiser la cavitation ? 

Michele : Nous utilisons deux types de simulation pour cette partie du projet. Le premier est CFD - Computational Fluid Dynamics. Cela consiste à créer un modèle numérique du champ d'écoulement basé sur la géométrie du foil et ses paramètres : vitesse, angle d'incidence, etc. 

Le deuxième type est l'optimisation. Nous utilisons les outils développés chez Cubit et tirons parti de l'immense expertise de l'équipe pour définir les bons workflows d'optimisation. 

Puisque nous avons affaire à un nouveau domaine, nous sommes partis de profils de foils de cavitation standards conçus par la NASA dans les années 1950. Et nous avons cherché à comprendre comment les changements de géométrie auraient un impact sur les performances. Nous avons donc mis en place des procédures et des workflows pour rechercher dans l'espace de conception la forme parfaite en termes de profil et de géométrie de foil complet.

Tout cela nécessite beaucoup de puissance de calcul. Chez Cubit, nous avons un système HPC avec 9216 cœurs, qui a été développé spécialement pour la CFD et l'optimisation. Dans l'un de nos derniers workflows, nous avons effectué une simulation pour 400 designs différents, avec environ 8 heures de temps de traitement pour chacun !

Quelle est l'importance de cette optimisation du foil ? 

Michele : Comme je l'ai expliqué, nous avons commencé avec un profil générique d'un foil cavitant. Mais ce n'était qu'un point de départ pour la simulation. En changeant manuellement la géométrie, sur la base de notre expérience et avec le support des simulations CFD, nous avons déjà pu améliorer les performances de 50%. 

La phase suivante, l'optimisation, comporte encore beaucoup de potentiel d'amélioration, nous savons que nous pouvons atteindre de meilleures performances. Nous pensons qu'un gain supplémentaire de 50% est à notre portée. 

Catherine : Toute cette optimisation qui nous permet d'affiner la géométrie nécessite un effort important en termes de calculs à haute performance. Mais ça vaut l'investissement. Et travailler avec l'équipe de notre partenaire Cubit apporte une contribution très utile, ils ont une expertise très pertinente. 

En fin de compte, une meilleure efficacité signifie moins de traînée pour la même portance, et donc plus de vitesse ! Exactement ce que nous recherchons pour pulvériser le record de vitesse...

Catherine et Michele

Catherine Ramirez Villalba est titulaire d'un doctorat en mécanique des fluides avec une spécialisation en algorithmes d'interaction fluide-structure. Elle est en charge des recherches de Syroco en cavitation et dirige les programmes de simulation numérique de la startup. 

Michele Farnesi est un ingénieur aérospatial spécialisé dans la conception et la simulation aérodynamique chez Cubit Innovation Labs, partenaire stratégique de Syroco. Dans la division Fluid Dynamics de Cubit, il est responsable du partenariat avec Syroco.